Ce séminaire a été l’occasion de faire intervenir deux personnalités qui ont pu témoigner, chacune à leur niveau, de leur implication dans des interactions entre disciplines.
Chaque intervenant a présenté son approche :
- Bill Slee (James Hutton Institute ; Social, Economic and geographical sciences group, Aberdeen, Ecosse), Professeur émérite, a abordé au cours de son intervention les facteurs favorables et défavorables à l’interdisciplinarité
- Robert Chenorkian (ex-directeur scientifique adjoint de l’INEE, responsable des Observatoires Hommes-Milieux) a traité des interactions entre disciplines dont il a été témoin au sein des Observatoires Hommes-Milieux ; Il a présenté son analyse au travers de la notion de « disciplinarité éclairée ».
Synthèse de l'intervention de Bill Slee sur les facteurs favorables et défavorables à l’interdisciplinarité
- Bill Slee, professeur émérite, James Hutton Institute, a témoigné de son expérience de chercheur (économie rurale) et de responsable d’équipe (Social, Economic, Geographical sciences) en sciences sociales au Macaulay Institute (Le Macaulay Institute est devenu le James Hutton Institute suite à sa fusion en 2010 avec le Scottish Crop Research Institute). Il nous a décrit quelle avait été sa trajectoire individuelle et la manière dont il était passé des silos disciplinaires du début de sa carrière à de nombreux projets guidés par la résolution de problèmes, suscitant des interactions entre disciplines. Il a abordé la façon dont ces échanges entre disciplines pouvaient amener la recherche à se rendre plus utile du point de vue de la pertinence sociétale de ses apports en se connectant au terrain, en échangeant avec les acteurs engagés dans l’élaboration des politiques publiques et la protection de l’environnement. Il a abordé la place des sciences humaines et sociales, une place qu’il a vu évoluer d’un simple outil au service des sciences naturelles (les sciences sociales étant initialement vues comme un outil pour convaincre les acteurs de s’engager dans les actions identifiées par les chercheurs en sciences naturelles) à un outil de compréhension fine des interactions entre société et environnement.
En tant que responsable du Socio Economic Research Group au Macaulay Institute, Bill a décrit les différentes actions qu’il avait entreprises pour favoriser les interactions entre disciplines. Il avait pu recruter un certain nombre de jeunes chercheurs ayant une histoire interdisciplinaire, ayant des spécialités différentes (économie de l’environnement, psychologie de l’environnement, anthropologie, géographie…) et une capacité à échanger avec leurs collègues spécialistes de sciences du sol, de sciences de l’eau ou d’écologie. Il a encouragé la constitution d’espaces de dialogue sur des objets communs, à la fois entre chercheurs issus de disciplines différentes, et entre chercheurs et acteurs de la société. Il a également rappelé l’importance des impulsions managériales ainsi que la nécessité d’un engagement individuel des chercheurs, leur capacité à découvrir le travail mené dans d’autres disciplines et à voir en quoi ces travaux viennent réinterroger le problème auquel ils s’intéressent. Le schéma suivant, extrait de son intervention, identifie les facteurs clefs à l’origine d’expériences interdisciplinaires réussies.
Figure 1 : les facteurs clefs des réussites interdisciplinaires (Slee B., 2021)
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Synthèse de l'intervention de Robert Chenorkian sur les interactions entre disciplines au sein des Observatoires Hommes-Milieux et son analyse au travers de la notion de « disciplinarité éclairée »
- Robert Chenorkian, ancien directeur scientifique adjoint de l’INEE ( Institut Ecologie et Environnement du CNRS) a quant à lui témoigné des conditions de mise en œuvre des interactions entre disciplines au sein des Observatoires Hommes Milieux (OHM). Après une présentation générale du dispositif des Observatoires Hommes Milieux au sein desquels des écosystèmes anthropisés, subissant une rupture (évènement fondateur), sont étudiés, Robert a brièvement présenté les différents Observatoires (13 à ce jour). Au sein de ces observatoires, l’interdisciplinarité est envisagée comme un outil indispensable pour aborder l’extrême complexité de ces écosystèmes fortement anthropisés. Plus précisément Robert a évoqué le fait que c’est la réunion des différentes disciplines autour de l’évènement fondateur qui va permettre la constitution d’un cadre défini en commun, dont tout le monde pourra prendre connaissance afin de se l’approprier ( disciplinarité éclairée dans un cadre d’ouverture d’esprit-indisciplinarité- et ce grâce au « bouillon de culture »). Robert a ensuite présenté les résultats de recherches menées dans quelques OHM. L’intérêt de cette présentation des OHM réside dans le fait qu’au-delà de l’analyse des relations entre société et environnement, les OHM constituent également un espace privilégié d’observation des interactions entre disciplines scientifiques sur un sujet commun.
Les échanges ont permis de rappeler les conditions nécessaires à l’émergence des Observatoires Hommes-Milieux. Les OHM sont construits sur trois blocs de fondation : un fait structurant (socio-ecological framework), un événement fondateur (Disrupting event) et un Objet Focal (Focal Object). Le fait structurant peut être un bassin minier, l’événement fondateur l’arrêt de l’exploitation et l’Objet focal le produit des deux premiers : le bassin minier fermé, spatialement déterminé par les territoires affectés par ces deux premiers items (cf. OHM Bassin Minier de Provence). Toutes les sciences de l’environnement (sciences de la Géosphère, de la Biosphère, de l’Homme et de la société) vont étudier de manière convergente cet objet unique et partagé, favorisant ainsi l’inter-disciplinarité par une pluridisciplinarité éclairée. L’importance de pouvoir rassembler les chercheurs sur un lieu commun, pour problématiser ensemble, a été soulignée à plusieurs reprises.
Les discussions ont porté, sans aboutir en raison de l’absence d’identification d’un évènement fondateur, sur une transposition du dispositif au contexte agricole breton.
Pour ce qui concerne l’organisation de l’interdisciplinarité, les interventions et débats ont mis en avant plusieurs aspects critiques :
- l’impulsion managériale est essentielle. L’interdisciplinarité requiert une forme de « leadership », d’une impulsion venant « d’en haut » ; la « prise de risque » liée aux travaux interdisciplinaires doit être accompagnée et encouragée par les équipes de direction, en relation avec une impulsion institutionnelle.
- l’impulsion institutionnelle est elle aussi fondamentale. Les instituts de recherche écossais, financés en grande partie par le Gouvernement Ecossais, ont de ce fait une incitation non pas à se focaliser sur l’excellence disciplinaire, mais bien sur la pertinence sociétale des recherches menées
- des dispositifs financiers présentant une forme de pérennité peuvent être une forme d’incitation à l’initiation de collaboration entre disciplines. Le cas des OHM l’illustre assez bien dans la mesure où l’ampleur financière du dispositif est modeste mais permet d’initier des collaborations qui trouvent ensuite d’autres cadres de financement (ANR), leur permettant ainsi de s’inscrire dans le temps ;
- une autre forme d’accompagnement a été mise en avant, en particulier dans le cas des OHM. Le labex DRIIHM7 (Dispositif de Recherche Interdisciplinaire sur les Interactions Hommes Milieux), constitué en 2012 (prolongé jusqu’en 2024) constitue un espace d’échanges entre les OHM à différents niveaux (par exemple échanges entre informaticiens sur la mise à disposition des données) ; permet le montage d’une animation scientifique à destination des chercheurs impliqués dans les OHM et de communiquer vers la société.
- les aspects individuels, l’appétence des chercheurs et une certaine capacité à l’ouverture pour mener ce type de travail compte beaucoup également. La recherche interdisciplinaire, au travers des résultats qu’elle produit, et des processus qu’elle implique, génère des innovations considérables. Mais elle est parfois identifiée comme une prise de risque, aux résultats incertains et ne présentant pas toujours de garanties quant à la valorisation scientifique du travail.
Les débats se sont élargis des interactions entre disciplines à la place de la société dans le processus de recherche. Bill Slee a souligné l’importance de l’implication de la société dans la recherche tout comme l’implication des chercheurs sur des questions de société. C’est d’ailleurs souvent la demande sociétale qui génère des besoins d’interaction entre disciplines. La recherche devient guidée par des questions de société, plus que par les fronts (disciplinaires) de sciences. Robert Chenorkian a souligné la présence des acteurs non scientifiques dans le dispositif des OHM et l’importance de leur implication, notamment dans la phase amont, de la définition de la question de recherche ; les questions posées dans le cadre des OHM, portant par définition sur des écosystèmes fortement anthropisés, constituent de fait des questions sociétales. Les séminaires de restitution ainsi que quelques réunions dédiées dans des lieux spécifiques (mairies, écoles) permettent de présenter les résultats des travaux conduits dans les OHM, sans pour autant faire des acteurs socio-économiques et politiques des acteurs à proprement parler de la recherche. Il a d’ailleurs mis en avant la difficulté à impliquer les acteurs socio-économiques et politiques dans la durée.
Voir la vidéo de Robert Chenorkian : Interdisciplinarité et "disciplinarité éclairée"
Les discussions engagées dans ce séminaire ont permis, outre les deux interventions, l’une plutôt centrée sur la place de l’interdisciplinarité dans le parcours individuel d’un chercheur, l’autre évoquant le rôle de dispositif d’incitation, de mettre en avant quelques conditions favorables à la réussite des interactions disciplinaires sur lesquelles notre programme pourra s’appuyer.
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Présentation de Bill Slee : What are the keys for interdisciplinary success? (1 Mo)