Les confins de l'humanité
Toutes les approches critiques et philosophiques de la notion de post-humanité s'appuient sur une perspective historique, celle de l'émergence de la notion de nature humaine chez les philosophes anglais du XVIIè siècle. Cependant, la période charnière pour dater les prémisses de la réflexion contemporaine sur le post-humain est celle de l'après seconde guerre mondiale. La circulation d'images rendue possible par les progrès technologiques et révélant la réalité des camps de concentration, de même que l'utilisation de la bombe atomique à Hiroshima et Nagasaki, révélèrent la pratique d'un type de mort jusqu'alors non envisagée, celle d'une mort globale de l'humanité (Serres, 2001). Les progrès technologiques n'ont pas cessé depuis et les champs d'exploration de la technique se sont ouverts au vivant, avec l’apparition des biotechnologies en général, et avec la possibilité du clonage humain en particulier. La notion de nature humaine, des contours de l'humain, s'est donc ainsi retrouvée de nouveau au coeur d'un débat philosophique, éthique et médical.
Il s'agira donc pour les chercheurs associés à ce projet de tenter de circonscrire la notion de post-humanité. Cet objectif est central dans la poursuite de ces recherches dans le cadre du projet ANR déposé depuis. Le champs du post-humain ouvre à toutes les spéculations, des plus sérieuses aux plus délirantes. Nous proposons donc d'aborder la notion par le prisme de différents champs disciplinaires. Les ouvrages de philosophes tels Yves Michaud, Dominique Lecourt, Jean-Marie Besnier ou Michel Serres nous serviront de socle commun à partir duquel nous pourrons élaborer l'étude des devenirs de l'humain. Chez Michel Serres comme chez Dominique Lecourt, la perspective d'une post-humanité est introduite par la métaphore de l'accouchement qui s'explique sans doute par le fait que pour Lecourt comme pour Serres, le devenir de l'espèce humaine passe par une prise de conscience et une nécessaire redéfinition de ce qu'est l'humain en tant que conscience individuelle indissociable de « la présence contraignante de l'universel ». La polémique qui a marqué les années 2000, après les publications de J. Habermas et celle de Peter Sloterdijk, est à l'honneur dans l'ouvrage de Y. Michaud qui montre que la réintroduction de l'humain passe par la résistance et le refus individuels d'« exercer le pouvoir de sélection » (Michaud, 2002), mais aussi par la naissance d'un sens totalement différent de la communauté vers lequel Giorgio Agamben nous ouvre peut-être une voie dans La Communauté qui vient (1990).